samedi 11 mai 2013

La Thaïlande est infiniment plus démocratique, à tout le moins dans sa pratique corruptive.


Billet publié dans le n° de mai 2013 du magazine Gavroche
 
 


 
Les « affaires » qui émaillent régulièrement notre vie politique nationale ne sont pas l’apanage de la mère patrie, loin s’en faut. Mais celle dite « Cahuzac » s’élève à des sommets qu’aucun alpiniste chevronné de la prévarication n’avait encore atteints. Le sentiment de dégoût – ou de franche rigolade, selon l’humeur qui anime le spectateur impuissant de cette triste pantalonnade – s’est répandu de par le monde et son onde de choc n’a pas fini d’ébranler en retour les fondements d’une république désormais plus bananière qu’irréprochable.

Ainsi, le ministre du Budget, chasseur impitoyable des picaillons en fuite d’une classe moyenne écrasée sous le poids d’un impôt toujours plus punitif, ce grand inquisiteur fiscal d’un gouvernement dont le chef qualifiait il y a peu le comportement de quelque célébrité qui s’expatriait – pourtant en règle au regard de la loi – de « minable », ce vertueux personnage, donc, fraudait. Un peu comme si le préfet de police de Marseille était poissé au coin d’une cité, la main dans le sac à shit.
 
Vue d’ici, il est peu probable que l’incongruité tragi-burlesque de cette farce politicarde toute française intéressât beaucoup nos amis thaïlandais. Reconnaissons d’ailleurs à nos hôtes l’élégance de l’indifférence polie qu’ils accordent généralement à nos petites turpitudes.
 
Aussi, avec 5 % seulement de contribuables parmi leur population active, ils sont sans doute peu concernés par la question. D’autant que l’impôt thaï n’étant en rien spoliateur, ceux qui le paient, loin de vouloir s’en affranchir, s’enorgueilliraient plutôt de cet indubitable signe extérieur de richesse jeté ainsi à la face de tout contestataire d’un pouvoir assumé. Privilège logique, somme toute, d’une société dont les valeurs n’ont pas encore été inversées.
 
Sur la foi de récents sondages, quelques esprits chagrins pourraient toutefois insinuer qu’avec 66 % des sujets du Royaume favorables à la corruption si celle-ci leur bénéficie, et 87 % des habitants de la capitale reconnaissant y avoir recours tout en l’approuvant, les Thaïlandais ne sont peut-être pas non plus les mieux placés pour donner un avis pertinent en la matière.
 
Il n’en demeure pas moins que la situation en Thaïlande n’est en rien comparable à la nôtre.
 
Car si la culture du passe-droit et du bifton facile est si bien ancrée dans la population, c’est qu’elle est partagée. Les élites du pays ne sont certes pas exemptes de critiques en ce domaine, mais elles ne s’en arrogent pas le monopole. En tout cas pas comme dans notre république schizophrène, malade de sa monarchie perdue, où quelque réminiscence d’un « fait du prince » mal digéré semble offrir à ses classes dirigeantes une absolution quasi divine de ses errements, sans qu’elles n’en aient par ailleurs ni la légitimité ni les responsabilités. Pour le dire autrement, en France, c’est faites ce que je dis mais pas ce que je fais.
 
Il y a pourtant fort à parier que, à l’égal des Thaïlandais, les Français seraient infiniment plus indulgents envers leurs politiciens si, au détour par exemple de quelque insidieux radar planqué dans un buisson, ils pouvaient s’acquitter auprès d’un souriant pandore d’une petite amende courtoisement négociée. Ils seraient aussi très certainement soulagés à l’idée qu’un gentil billet savamment glissé dans une main complaisante puisse enfin faire bouger une administration aussi pléthorique et arrogante qu’inerte et improductive. Ils seraient peut-être tout bonnement heureux, après avoir trimé toute leur vie et payé, eux, leurs impôts, d’avoir un moyen approprié pour ne pas toujours passer derrière tous les assistés de la terre dès qu’il s’agit d’obtenir la moindre prestation.
 
Indubitablement, et nonobstant toutes les rodomontades d’une France jamais en reste pour faire la leçon aux autres, la Thaïlande est infiniment plus démocratique, à tout le moins dans sa pratique corruptive.
 
Cela dit, tout ce chahut autour du Cahu aura quand même eu du bon. Au moment où la ponction française des avoirs de ceux qui travaillent est toujours plus forte et où l’inviolabilité des dépôts bancaires n’est plus un tabou pour l’Europe, notre impayable ministre des impôts, soustrayant grossièrement ses petites économies à la voracité de ses propres agents pour les placer sous les cieux plus cléments de Singapour, aura ainsi montré au quidam tout l’intérêt qu’il y avait à sauvegarder son pactole hors de l’UE.
 
Pour nos compatriotes expatriés qui résident et possèdent légalement un compte en Thaïlande, c’est déjà une consolation.