vendredi 21 février 2014

L’accueil n’est pas à sens unique

Billet publié dans le n° de février 2014 du magazine Gavroche.





Le tourisme en Thaïlande a encore battu des records avec 26,7 millions d’entrées comptabilisées pour l’année 2013 et, cependant, des signes avant-coureurs d’un durcissement de ses conditions d’accès se font jour, comme si le royaume pourtant familier d’une présence étrangère lucrative regimbait soudain sous l’aiguillon d’une injustice dont il s’était longtemps accommodé mais qu’il estimerait dorénavant incongrue. Ce pays traditionnellement accueillant semble en effet s’agacer de ne pas être toujours payé de retour. La France semble particulièrement sur la sellette et il n’y a bien que les troubles politiques à Bangkok pour lui masquer encore le désamour qui la touche.

Dès cet été, l’infléchissement était déjà sensible à l’ambassade de Thaïlande à Paris qui accumulait sans crier gare nombre de petits obstacles inusités, rendant l’obtention d’un visa digne d’un parcours du combattant pour le solliciteur qui avait la mauvaise idée de passer par là. Pour un simple visa de tourisme, il faut dorénavant établir la preuve de ses revenus ou, à défaut, présenter un relevé de banque avec à l’étiage 1.000 euros crédités. Les visas « retraite » n’y sont pas en reste puisque les plus ou moins 40.000 euros de fonds à détenir doivent maintenant figurer au compte courant, tout un chacun sachant qu’il est commun chez nous de laisser traîner pendant des mois son bas de laine sur un compte-chèques. Quant aux Français résidant en Thaïlande, des couples retraités se sont vus demander par certains bureaux d’immigration de justifier ensemble 1.600.000 Bahts sur leurs « savings accounts » alors que leur statut marital leur permet normalement de se rattacher conjointement aux 800.000 Bahts exigés de l’un ou de l’autre.

L’administration thaïlandaise détermine discrétionnairement les pièces à fournir pour l’obtention des visas et il ne nous appartient pas d’en juger, mais, au vu des dernières déclarations de ses responsables, on découvre une exigence d’équité nouvelle qui pourrait bien porter à conséquence. Ainsi, dès octobre dernier, la Thaïlande examinait la mise en place pour début 2014 d’une taxe d’entrée de 500 Bahts pour les touristes. Motif invoqué : se prémunir contre les frais engendrés par les étrangers sans ressources. Soucieux du budget de ses hôpitaux, ce fut le ministre de la Santé qui fit l’annonce, arguant qu’ « il était maintenant temps [pour la Thaïlande] d’avoir des touristes de qualité » et ajoutant que « de nombreux pays pratiquaient déjà ce droit d’entrée ».

À la mi-décembre, c’était le chef de l’Immigration qui s’y collait. Constatant que les demandes de visas étaient complexes et onéreuses pour les ressortissants thaïlandais souhaitant se rendre dans 17 pays dont le nôtre, le lieutenant-général de police Panu Kerdlarpphol recommandait officiellement au ministère des Affaires étrangères de revenir pour ceux-ci sur la gratuité des séjours n’excédant pas un mois afin d’en établir un prix sur des critères de réciprocité, les montants pouvant alors varier de 700 à 3.900 Bahts. Après la prise de conscience, la punition ?

Les Thaïlandais sont capables de voir et d’entendre. Nos compatriotes qui ont voulu inviter une relation thaïe en France le savent, nos services consulaires qui délèguent à des intermédiaires locaux le soin de vérifier la bonne conformité des dossiers à leurs conditions draconiennes et coûteuses ne sont pas avares de tracasseries plus ou moins élégantes, avec à la clé une décision rendue en toute opacité.

Notre « contrôle rigoureux de l’immigration » exercé envers ceux qui nous accueillent courtoisement peut légitimement s’apparenter à une mesure vexatoire au regard de leur propre ouverture et du traitement laxiste réservé chez nous à d’autres étrangers, entrés ceux-là en toute illégalité. Nos chers « Roms » popularisés par la désormais célèbre Léonarda sont là pour le rappeler aux intéressés. Deux poids, deux mesures, donc, que rien ne saurait justifier.
Alors, plutôt que d’avoir bientôt à renâcler devant des représailles prévisibles, ne serait-il pas judicieux de prendre les devants en nous inspirant nous-mêmes de l’actuelle politique d’immigration de la Thaïlande avant qu’elle ne change ? Liberté de circulation réciproque, aides et prestations diverses réservées aux nationaux et application stricte de la loi ne procèdent-elles pas d’un sage respect mutuel des bonnes manières ?

Mais il est vrai que la sagesse n’est pas de nos jours la vertu la mieux partagée chez nos gouvernants.