Un an déjà. Un an que ce billet existe et qu’au fil de ses
parutions nous comparons les mœurs, les politiques, les approches propres à nos
deux pays, d’identité et d’accueil, sur des questions fort diverses.
Le privilège d’être expatrié, c’est que l’observation de sa terre
natale s’enrichit dès lors des enseignements que l’on acquiert des sociétés où l’on
vit.
Ainsi, tous ces mois passés, avons-nous considéré des sujets
aussi variés que la corruption, l’école, la tenue en ville, l’épargne, les
perceptions de l’histoire et des traditions, bien d’autres thèmes aussi,
abordés à la marge, et jusqu’à la toute simple – mais ô combien importante –
joie de vivre.
Force fut de constater qu’à ce petit jeu du « qui fait
mieux », notre belle France en ressortait rarement gagnante.
Concomitamment, nos services
consulaires enregistrent une croissance régulière des inscrits dans le royaume
avoisinant les 10 % annuels.
Comme il n’aura pas échappé au
lecteur assidu, nous sommes peu portés à croire que cette corrélation pour le
moins suggestive ne procédât que d’un parfait hasard.
Certains penseront bien sûr que, fiscalité
spoliatrice contre cocotiers nonchalants, la partie n’était pas égale et qu’il
n’y a pas lieu de chercher ailleurs la cause de l’engouement de nos
compatriotes pour cette terre bienveillante. C’est même l’antienne des
reportages à succès. Ainsi en fut-il de « Thaïlande,
eldorado ou mirage ? », qui, entre autres productions similaires,
passa sur les canaux métropolitains il y a une petite année. Réalisé – fort
honorablement au demeurant – par une société privée tournant au profit d’une
chaîne publique, son cahier des charges lui imposait à l’évidence de ne pas
sortir de cette équation bien bordée. Interrogeant quelques quidams
représentatifs à leurs yeux de cette expatriation « très française »,
il se fut que l’auteur de ces lignes en fit partie. On l’y vit, entre deux
brochettes et un verre à la main, louanger gaiement les petites mains du 7-eleven pour leur empressement
prévenant à vous emballer vos menus achats ; vision certes infiniment plus
exotique qu’un palmier pour qui connaît Paris. Il se hasarda aussi à supposer
que « tant qu’à vivre avec des étrangers, d’aucuns pourraient être tentés
de frayer plutôt avec ceux qui ont leur préférence ». L’hypothèse ne fut
pas retenue au montage. On ne saurait blâmer l’honnête travailleur qui veille à
son gagne-pain.
Mais pour nous tous ici qui
vivons en Thaïlande, est-ce vraiment un secret ?
Issue d’un choix délibéré, cette
destination de résidence n’est-elle pas le fruit d’une mûre réflexion, où l’abord
affable de ses habitants et leur art consommé d’un bonheur simple sont déjà en
soi une raison suffisante ?
Et si l’on pousse davantage l’investigation
de nos cœurs, la fréquentation de cette population laborieuse et sereine, de
ses campagnes, de ses villes, ne provoque-t-elle pas en nos tréfonds la
sensation étrange d’une envie, d’un regret même devant une société qui a su
pour une grande part conserver son rythme ancestral, ses équilibres familiaux,
sa religion indissociablement mêlée à la vie quotidienne, et même son roi, tout
en rentrant dans la modernité ?
Que n’éprouve-t-on pas quand,
dans une salle de spectacle, tous se lèvent à l’unisson pour signifier leur
respect au monarque et à l’hymne national ? Et de ces élèves en uniforme,
progressant en riante colonne le long des avenues, derrière leur maître d’école
et drapeau au vent ? Romantisme, nostalgie, contraste coloré avec nos
grisailles originelles ?
Que dire alors de cette vie courante
qui nous paraît si aisée, si libérée des contraintes que, précisément pour
beaucoup d’entre nous, nous avons fuies ? Des petits commerces, des
marchands ambulants qui ne connaissent de l’ennui des taxes que la modeste patente
annuelle payée au district ? Des banques, où tout un chacun peut, par
chèque barré, recevoir son salaire en espèces du compte de son patron, où
nous-mêmes, expatriés, sommes libres de disposer de nos avoirs sans
questionnement inquisiteur ? Et de ces multiples travaux usuels, pour la
contre-valeur desquels nous aurions à peine un café en Europe ? Des tout
petits riens qui, additionnés, nous reportent, chez nous, quelques décennies en
arrière, quand la France était encore la France.
Personne ici en effet ne dépend
de l’aide sociale, les liens traditionnels y suppléent. L’État se fait discret
et la liberté est de mise. Dans le respect de la dignité de tous et du bien
commun.
Mais ça, on ne vous le dira
jamais dans le poste. Et ce n’est pas le moindre intérêt de cette rubrique que
de le rappeler.