mardi 13 mai 2014

La Thaïlande au cœur d’Élisabeth Zana : une passion française retrouvée

Billet publié dans le n° de mai 2014 du magazine Gavroche

Il est parfois des initiatives porteuses d’heureux étonnement qui vous raccommodent avec le génie humain et font mentir vos plus sombres prédictions. Nat Association, créée par Élisabeth Zana à Krabi au lendemain du Tsunami qui ravagea la côte ouest de la Thaïlande, le 26 décembre 2004, est de celles-là. Le destin fut pourtant cruel pour Élisabeth puisqu’elle y perdit sa fille, Natacha. On eût pu attendre alors qu’elle se réfugiât dans son deuil, entouré de son mari et de ses proches, bien loin de la région du drame. On eût sans doute parlé de « reconstruction » et l’on eût évité à l’avenir toute allusion devant elle au pénible sujet. Quoi de plus légitime, d’ailleurs, dans une société moderne où le repli sur soi est devenu la règle générale, sans nul besoin pour cela d’être confronté soi-même à quelque tragédie. Dans un présent où le bien commun se conjugue trop souvent au singulier pour ne plus devenir que l’addition douteuse d’intérêts particuliers, cela n’eût choqué personne et c’eût même conforté certains. Mais, d’évidence, les choix d’Élisabeth Zana ne procèdent pas de cette voie vulgaire.


Natacha était partie à Krabi pour y aider l’enfance défavorisée. De l’énergique résolution de sa mère, Nat Association vit le jour en sa mémoire. Sous son parrainage furent ouvertes dans la ville, au profit des enfants les plus pauvres, une pouponnière, une école et une bibliothèque. Dans le respect de l’instruction thaïlandaise, des cours de français y sont aujourd’hui dispensés et les élèves peuvent se familiariser à notre culture, tant par les livres mis à leur disposition que par des voyages-échanges avec la France, conçus dans la plus délicate approche. L’initiation à la danse leur est aussi proposée ; quoi de plus naturel pour celle qui fut première danseuse d’opéra et qui voit dans cette discipline l’un des éléments fondateurs de la civilisation.

Car c’est bien là la vraie singularité de la démarche, toute empreinte d’intelligence et de dévouement, de cette ambassadrice d’un genre qu’on croyait révolu. 

Quand, alentour, il n’est plus question que d’une France dont le rayonnement serait inexorablement rentré dans son couchant, Élisabeth Zana renoue avec un temps où cet éclat ressortait d’une volonté commune, d’une vocation qui se voulait universelle d’un peuple alors si sûr de sa civilisation qu’il entendait l’offrir en partage au monde et qu’un État fort, républicain, accompagnait de par-delà les mers en envoyant ses amiraux la prodiguer jusqu’aux terres les plus lointaines. 

À l’aune de cette époque, à la fois si proche et semblant déjà relever d’un autre univers, où les marins partaient conquérants en se découvrant explorateurs pour enfin se révéler bienfaiteurs, force est bien de reconnaître que ce firmament français n’est plus aujourd’hui incarné que par des individualités rares, tant les qualités requises à ces fins sont désormais devenues exceptionnelles. Loin dorénavant d’une mère patrie en proie à la plus grande confusion d’identité, Élizabeth Zana est sans conteste du sang des meilleurs d’entre elles, de celui qui fit nos plus admirables missionnaires.

Ces bénévoles d’antan avaient leurs ouailles – leurs « inconditionnels » dirait-on de nos jours – que suscitait leur sacerdoce extraordinaire. Il n’est que justice que l’œuvre de notre bienfaitrice contemporaine rencontrât dès lors, elle aussi, le zèle efficace de fervents soutiens. 

Il en va ainsi d’une personnalité attachante et atypique, à la vie chamarrée d’aventures et tout dévoué à la cause de ses compatriotes, Christian Chevrier. Charismatique président de l’UFE de Phuket, il ne se lasse pas d’évoquer une anecdote pour lui toute symbolique.

Assistant en décembre dernier, à la Natacha school, à la commémoration du Tsunami, mécène pour l’occasion, il fut pris d’émotion à l’écoute d’une « Marseillaise » jouée par les écoliers en l’honneur de la France. Les quelques dissonances issues d’instruments locaux inattendus n’y firent rien, la surprise réservée à leurs hôtes par ces jeunes garçons et filles thaïlandais n’en fut au contraire que plus grande. Elle célébrait à ses yeux, comme pour l’auditoire officiel des moines et personnalités invités, le lien qui, grâce à l’action opiniâtre d’Élisabeth Zana, réunit nos deux pays dans une passion quasi charnelle retrouvée.

Dans le sillage de ces âmes pénétrées d’humanisme vrai, loin des postures faussement généreuses en vogue, une grande dame perpétue ainsi à Krabi cette belle tradition française d’ouverture d’esprit et d’engagement qu’aucun crépuscule « sociétal » ne saurait venir troubler.