Billet publié dans le n° de juillet 2013 du magazine Gavroche
Vue d’ici, la mondialisation n’a pas la même résonnance que
dans notre vieux pays. Le tourisme ne s’est jamais aussi bien porté en
Thaïlande que ces derniers mois, l’économie y est florissante sans donner lieu
pour autant à un développement anarchique par trop destructeur, et le chômage y
est d’autant plus inexistant que le royaume n’a pas cru bon l’indemniser, ni
s’affubler d’une kyrielle de contraintes légales ou fiscales entravant, comme
chez nous, toutes les petites activités de commerce et de service qui font ici
tout à la fois office d’amortisseur économique et de protection sociale bien
comprise. Bref, la Thaïlande ne semble pas si mal armée pour affronter
positivement cette fameuse globalisation qui effraie tant, en revanche, en
Europe et particulièrement en France.
Et qui dit ouverture sur le monde dit aussi brassage
important de populations ; l’arrivée massive des Chinois et des Russes –
quand ce ne sont pas des Qataris ou assimilés – dans les stations balnéaires et
les centres urbains n’étant que la suite logique, mais particulièrement
visible, de la présence de longue date des Occidentaux dans le pays.
En cela, la concurrence libre-échangiste acharnée que se
livrent les compagnies aériennes n’est pas sans incidence, rendant toujours
plus attractifs les prix des vols internationaux. Ajoutons que s’il est infiniment plus facile pour un
ressortissant européen de venir en Thaïlande que l’inverse, on peut
légitimement se poser la question de l’étonnant flegme – mêlant l’indifférence
polie à une souriante civilité – des sujets de Sa Majesté Bhumibol, face à ce
qui serait vite considéré sous d’autres cieux comme une dangereuse invasion
étrangère.
Car, nonobstant l’indéniable fait que « les Thaïs
aiment les Thaïs », ici, point de regard de haine ni même de défiance, plutôt
cette courtoise cordialité vis-à vis de « l’autre » – du voyageur
comme de l’immigrant expatrié – qui semble si intimement liée au pays qu’elle
en serait presque une seconde nature. Et si c’était justement cet amour des Thaïs pour eux-mêmes
et leur cohérence qui leur permettaient d’être si hospitaliers ? À tout le moins, il semble qu’on assiste ici, selon la
formule consacrée, à un « vivre-ensemble plutôt réussi. Car, à y regarder de près, la société thaïe, si elle connaît
des conflits propres à tous les pays, n’en affiche pas moins une étonnante
unité malgré sa grande diversité apparente.
Il n’est que de voir la sortie des écoles, où les jeunes
filles musulmanes ajoutent simplement et sans ostentation le voile à l’uniforme
de rigueur, d’observer les nombreux katoys
qui s’activent naturellement à toutes les tâches sociales sans pour autant
revendiquer bruyamment quelque droit à la différence qui soit, ou encore de
noter l’absence de policiers devant les banques ou bureaux de change, qui
manipulent pourtant quotidiennement de grosses sommes en espèces, pour se
persuader qu’une atmosphère bien différente de celle qui prévaut en France se
ressent ici.
Il faut dire qu’en Thaïlande, on ne supprime pas les
estrades dans les salles de classe pour favoriser une prétendue proximité avec
les élèves. On n’y argutie pas non plus à longueur de rapports sur l’indiscipline
immaîtrisée pour incriminer au final les sanctions. Le bon comportement est ici
une discipline à part entière, enseignée à tous les écoliers, au même titre que
le salut au drapeau ou les paroles de l’hymne national.
Pas de lois, ici, pour le mariage homosexuel, mais les gays
comme les transgenres bénéficient depuis longtemps des mêmes droits que leurs
compatriotes hétérosexuels sans que ça ne dérange quiconque. Et si un policier attrape un voleur, il l’immobilisera en
slip au milieu de la rue sous les flashes des journalistes avant de l’envoyer
devant un juge qui ne verra probablement pas dans le voyou en question un jeune
socialement défavorisé se livrant à quelque incivilité compensatrice. Bref, la société fonctionne ici à l’endroit et personne ne
s’en plaint.
Enfin, être Thaï signifie être un « homme libre »
et le bouddhisme est omniprésent dans le royaume. Éprouver la fierté de son
sang et de sa culture n’est en rien ici infâmant ou répréhensible. Pour aimer les autres et être ouvert au monde, il faut
commencer par s’aimer soi-même. Et, implicitement, être sûr de sa civilisation
et des valeurs qui s’y rattachent. Adage semble-t-il bien oublié en France.