mardi 16 juillet 2013

Un « vivre-ensemble » réussi ?


Billet publié dans le n° de juillet 2013 du magazine Gavroche
 

 
 
Vue d’ici, la mondialisation n’a pas la même résonnance que dans notre vieux pays. Le tourisme ne s’est jamais aussi bien porté en Thaïlande que ces derniers mois, l’économie y est florissante sans donner lieu pour autant à un développement anarchique par trop destructeur, et le chômage y est d’autant plus inexistant que le royaume n’a pas cru bon l’indemniser, ni s’affubler d’une kyrielle de contraintes légales ou fiscales entravant, comme chez nous, toutes les petites activités de commerce et de service qui font ici tout à la fois office d’amortisseur économique et de protection sociale bien comprise. Bref, la Thaïlande ne semble pas si mal armée pour affronter positivement cette fameuse globalisation qui effraie tant, en revanche, en Europe et particulièrement en France.
 

Et qui dit ouverture sur le monde dit aussi brassage important de populations ; l’arrivée massive des Chinois et des Russes – quand ce ne sont pas des Qataris ou assimilés – dans les stations balnéaires et les centres urbains n’étant que la suite logique, mais particulièrement visible, de la présence de longue date des Occidentaux dans le pays.
 
En cela, la concurrence libre-échangiste acharnée que se livrent les compagnies aériennes n’est pas sans incidence, rendant toujours plus attractifs les prix des vols internationaux. Ajoutons que s’il est infiniment plus facile pour un ressortissant européen de venir en Thaïlande que l’inverse, on peut légitimement se poser la question de l’étonnant flegme – mêlant l’indifférence polie à une souriante civilité – des sujets de Sa Majesté Bhumibol, face à ce qui serait vite considéré sous d’autres cieux comme une dangereuse invasion étrangère.
 
Car, nonobstant l’indéniable fait que « les Thaïs aiment les Thaïs », ici, point de regard de haine ni même de défiance, plutôt cette courtoise cordialité vis-à vis de « l’autre » – du voyageur comme de l’immigrant expatrié – qui semble si intimement liée au pays qu’elle en serait presque une seconde nature. Et si c’était justement cet amour des Thaïs pour eux-mêmes et leur cohérence qui leur permettaient d’être si hospitaliers ? À tout le moins, il semble qu’on assiste ici, selon la formule consacrée, à un « vivre-ensemble plutôt réussi. Car, à y regarder de près, la société thaïe, si elle connaît des conflits propres à tous les pays, n’en affiche pas moins une étonnante unité malgré sa grande diversité apparente.
 
Il n’est que de voir la sortie des écoles, où les jeunes filles musulmanes ajoutent simplement et sans ostentation le voile à l’uniforme de rigueur, d’observer les nombreux katoys qui s’activent naturellement à toutes les tâches sociales sans pour autant revendiquer bruyamment quelque droit à la différence qui soit, ou encore de noter l’absence de policiers devant les banques ou bureaux de change, qui manipulent pourtant quotidiennement de grosses sommes en espèces, pour se persuader qu’une atmosphère bien différente de celle qui prévaut en France se ressent ici.
 
Il faut dire qu’en Thaïlande, on ne supprime pas les estrades dans les salles de classe pour favoriser une prétendue proximité avec les élèves. On n’y argutie pas non plus à longueur de rapports sur l’indiscipline immaîtrisée pour incriminer au final les sanctions. Le bon comportement est ici une discipline à part entière, enseignée à tous les écoliers, au même titre que le salut au drapeau ou les paroles de l’hymne national.
 
Pas de lois, ici, pour le mariage homosexuel, mais les gays comme les transgenres bénéficient depuis longtemps des mêmes droits que leurs compatriotes hétérosexuels sans que ça ne dérange quiconque. Et si un policier attrape un voleur, il l’immobilisera en slip au milieu de la rue sous les flashes des journalistes avant de l’envoyer devant un juge qui ne verra probablement pas dans le voyou en question un jeune socialement défavorisé se livrant à quelque incivilité compensatrice. Bref, la société fonctionne ici à l’endroit et personne ne s’en plaint.
 
Enfin, être Thaï signifie être un « homme libre » et le bouddhisme est omniprésent dans le royaume. Éprouver la fierté de son sang et de sa culture n’est en rien ici infâmant ou répréhensible. Pour aimer les autres et être ouvert au monde, il faut commencer par s’aimer soi-même. Et, implicitement, être sûr de sa civilisation et des valeurs qui s’y rattachent. Adage semble-t-il bien oublié en France.