dimanche 30 août 2015

« Le garçon de Vientiane » sur « Paris-Phuket »

Article de Jean-Pierre Ghio sur le mensuel Paris-Phuket de juillet 2015.


Le garçon de Vientiane. 

Homo, comme ils lisent

Que voilà bien un livre gay ! Mais joyeux et triste à la fois. Car l’auteur ne se laisse pas aller aux joies et à la facilité du « happy end » cher aux romans à l’eau de rose traitant d’aventures sentimentales. Ce garçon de Vientiane, jeune, beau et attachant, ira jusqu’au bout de son karma.

Il s’agit d’un roman criant sobrement de vérité, dont l’histoire pourrait donc être vraie. Ce serait alors le récit possible de deux biographies en symbiose. L’une, celle d’un homme d’âge mûr, bien rangé dans un environnement social favorable mais qui se révèlera dangereux ; l’autre, celle d’un homme-adolescent à l’insouciante joie de vivre. Deux êtres aux origines et aux cultures différentes, occidentale et asiatique, qui se découvriront et qu’une une passion réciproque réunira.

Tout commence à Paris où Pierre, la cinquantaine, sorte de conseiller politique, s’ennuie d’une vie confortable mais routinière, ponctuée de quelques aventures féminines sans lendemain. Marié et père d’une jolie fille passionnée d’équitation, le destin l’amène à faire l’expérience d’une aventure homosexuelle puis met sur sa route à l’occasion d’une rencontre dans un sauna, Laum, laotien d’origine, jeune étudiant à la Sorbonne et qui travaille pour arrondir ses fins de mois dans un petit restaurant japonais tenu par un chinois. Coup de foudre sexuel d’abord, puis amoureux ensuite. 

Les deux amants se retrouveront au Laos et en Thaïlande, et seront le jouet d’une intrigue politico-mafieuse qui se terminera mal. Le livre oscille entre roman policier et roman d’espionnage, suspense garanti entrecoupé par les péripéties d’une relation amoureuse mouvementée.

Éric Miné abonde copieusement son récit de scènes érotiques plutôt chaudes aux détails assez crus, mais jamais vulgaires, laissant soupçonner un grand talent d’observation ou une pratique évidente de la chose. Le reproche pourrait peut-être lui en être fait par des esprits obtus, de faux dévots relevant d’un autre âge ou de prudes hypocrites qui se délecteront sous le manteau et les paupières mi-closes de quelques traits bien croustillants.

La description des mœurs et des modes de vie de la culture gay confine au travail d’un ethnologue et apporte un éclairage saisissant sur l’être et le paraître de cette communauté. Les « homos » s’y reconnaîtront pleinement et les autres découvriront bien sûr un monde qui leur est étranger mais libre, jouissif, spirituel, amusant, et qui suscitera un intérêt bienveillant.

Le plaisir de lire ce « Garçon de Vientiane » se trouve dans le style d’Éric Miné, réellement superbe dans les descriptions, juste dans les dialogues et clair dans le déroulement de l’intrigue. Citons quelques phrases magnifiques, dignes de Colette ou de Marguerite Yourcenar qui justifient ce jugement : « … les effluves de la vieille prune le plongeaient dans une agréable euphorie ». 

« Il distinguait une chaîne d’or par l’échancrure du col et un peu de pourpre qui animait sa bouche ».

« Tout, autour de lui, avait disparu : la fontaine rococo, les consommateurs de la terrasse, le serveur… Son univers s’était brutalement restreint à la beauté lascive et impudique qui l’accrochait de la puissance de son désir ».

« Il sut que son nom, Laum, signifiait « vent » en lao et il lui souffla de ne pas se muer en tempête… »

« Ils étaient restés longtemps allongés l’un contre l’autre… s’essayant à découvrir dans leur nudité un détail, un grain de beauté qui eût pu échapper à leur attention réciproque ».

« … devant lui, la petite grosse rougeaude aux lèvres fardées… dans un bel engouement, le geste ample des mains baguées comme une pintade… clabaudait sur la place réservée aux femmes ».

« Le costume sombre, trop strict à son goût et dont il avait ôté la cravate, lui donnait un aspect étriqué qu’il ne lui connaissait pas. La politique était vraiment un jeu de Frégoli ».

« Toute cette animation masculine, pas toujours virile, créait un sentiment de joyeuse impunité dans une sympathique et commerciale débauche de mouvements et de bruit ».

« La volonté soudaine de s’afficher… s’accompagnait d’un puissant malaise, d’une sourde inquiétude, comme celle d’un marin qui se verrait pénétrer dans des eaux inconnues ; et qui songerait au naufrage ». Prémonition annonciatrice de l’épilogue.

On croque ce livre d’une traite, goulûment ! Merci Éric Miné, et fi des quelques rares détracteurs qui resteront de mauvais coucheurs !