Dès le 1er janvier,
dans le poste et au 20 heures de France 2, nous étions fixés. De notre
sémillant David Pujadas, le message était limpidement viril : point de
quartier cette année pour la délinquance !
Après le vivifiant rappel du
courage politique consistant à oser publier le chiffre des voitures brûlées en
cette Saint-Sylvestre, l’annonce corrélative du score officiel ainsi sacralisé
et celle, plus modeste, du nombre des interpellations subséquentes, reportage était
lancé sur la prévention des incivilités et délits sur ce qui tient lieu de
« plus belle avenue du monde » dans toute rédaction qui se respecte
et, concomitamment en période de cotillons, de référence obligée pour les
méfaits en tout genre.
Et là, que pertinemment bien
choisi, bel et instructif exemple nous fut donné !
Un brave couple français très
ordinaire rapportant comment un zélé pandore s’était emparé de leur bouteille
de champagne imprudemment pétillante pour la précipiter dans la poubelle la plus
proche. Motif du martial assaut : consommation d’alcool prohibée sur la
voie publique.
Eh oui, oyez bonnes gens, la loi
est la loi, et, nonobstant la mine contrite de nos modestes fêtards douchés par
cette ferme tolérance zéro, elle s’applique à tous. Circulez, y’a rien à voir,
la France hollandaise est impitoyable pour les fauteurs de troubles.
Gageons donc que dans toutes les « cités »,
plus une canette de bière ne moussait alors dans l’espace collectif, plus une
boutanche de vodka n’y était sifflée impudemment par sa candide jeunesse –
d’autant qu’il fallait bien en garder pour la tradition festive des cocktails
Molotov –, qu’en un mot la vertueuse maréchaussée de monsieur
Hollande-président aura assuré un paisible réveillon à tout un chacun ayant écouté
d’une oreille attentive les vœux apaisants du susdit.
Mais au JT, ce n’était pas le
sujet du soir.
Car il ne faudrait quand même pas
confondre la société – pour laquelle le maintien de l’ordre coule de source –
avec ses « victimes ». Pour celles-ci, repentance, assistance et
privilèges sont les trois mamelles de notre république. Pour ces brimés de
naissance qu’une démarche par trop exotique condamnerait à perpète au délit de
sale gueule, d’infractions que nenni, seulement de vibrants appels au secours.
Il n’est que d’écouter la litanie des spécialistes qui s’égrènent sur le même
JT pour s’en persuader.
Alors les réglementations et
contraintes de tout acabit dont notre bonne gueule est tous les jours davantage
accablée ne les concernent ni peu ni prou. Qui peut croire sans rire que, dans
ces fameuses cités où s’échangent ouvertement shit et kalachnikovs dans les
halls d’immeubles, l’interdiction de fumer, pour ne prendre que celle-ci, est
respectée !
Et qu’adviendra-t-il en cette
année de bonnes résolutions policières où, à Paris, l’abandon de détritus sur
la voie publique sera durement sanctionné ? Pour sûr, au marché de
Château-rouge, entre les capots des voitures servant d’étals aux fringues
colorées et les cartons recyclés en tapis de bonneteau, on doit trembler. Et si
l’on s’en tient à la station de métro afférente, croit-on un seul instant qu’on
y arrêtera soudainement la cohorte quotidienne des fraudeurs qui s’y engouffrent
impunément ? Le gyrophare qui égaye quelques degrés plus haut le coin du
boulevard Barbès rappelle pourtant que l’endroit est classé « zone de
sécurité prioritaire ».
Mais qu’en sera-t-il de la petite
mémé qui oubliera de ramasser la crotte de son caniche sur le trottoir du 7e
arrondissement, ou du naïf touriste qui, ses achats en bandoulière, aura omis
de conserver sur lui son ticket et qu’un contrôleur tout aussi zélé que notre
pandore des Champs aura repéré comme client solvable à la station Louvre ?
Si en ces temps de vaches maigres
hollandaises le délit de sale gueule ne fait plus recette, celui de bonne gueule
offre assurément de plus riches perspectives.