samedi 19 janvier 2013

Koh Chang, « victoire thaïlandaise » ?

Publié le 17 janvier 2013 sur le site THAILANDEFR
 
Soyons honnête : l’île de Koh Chang est plus connue pour ses bars, ses plages biéreuses et ses full moon party que pour sa bataille navale. Pourtant le 17 janvier 2013 sera l’occasion de commémorer le 72e anniversaire de la bataille de Koh Chang qui opposa les marines française et thaïlandaise.
Pour ceux qui connaissent l’Histoire, certainement, mais pour les autres de nos compatriotes, qui se souvient ou qui se soucie encore de cette bataille du 17 janvier 1941 qui opposa non loin des côtes du Cambodge la France à la Thaïlande dans ce qui fut, rappelons-le quand même, la seule victoire navale flotte contre flotte des deux guerres mondiales réunies à mettre au crédit de notre pavillon ?
 
Car au regard de l’inexistence chez nous des manifestations officielles qui commémoreraient partout ailleurs un tel fait d’armes, on peut légitimement se poser la question. Et nonobstant les liens du sang qui nous unissent à la Mère patrie, on ne peut qu’être dubitatif quand l’on assiste aux célébrations festives qui accompagnent ce même anniversaire dans cette belle Thaïlande où les pas de l’expatriation nous ont porté.

 
De fait, si l’on prend la peine de s’informer auprès du site officiel en français de l’Office National du Tourisme de Thaïlande*, celui-ci précise qu’en face de l’île de Koh Chang, dans la petite ville de Laem Ngop – où se trouve un musée tout à la gloire de la marine thaïe et dont la construction simule un vaisseau de guerre –, se tiennent tous les ans pour célébrer cet événement, du 17 au 23 janvier,  « des expositions navales et gouvernementales ainsi que des spectacles populaires folkloriques et culturels ».

 
Près d’une semaine de festivités, rien de moins !

 
Sur le même site, on peut aussi lire en préambule explicatif de cette liesse :

 
« Un conflit ouvert éclata contre les Français le 17 janvier 1941 au cours de la Guerre d’Indochine, lorsqu’un escadron de marine français fit une incursion dans les eaux territoriales thaïes, à laquelle répondit une flottille thaïe. Ce conflit fut connu sous le nom de Bataille Navale de Koh Chang. Les Thaïs remportèrent la victoire tout en perdant trois navires et plusieurs vies. Le 17 janvier est fêté chaque année pour commémorer les héros navals qui sacrifièrent leurs vies pour protéger leur pays. »

 
Concis, explicite. Résumée à une bataille, la guerre franco-thaïe de 1940 – 1941 voit l’agression française refoulée et donc la victoire de la Thaïlande. Et pour ne pas être en reste, le Victory Monument de Bangkok, érigé fin 1941, affirme dans un bel élan mussolinien tout l’orgueil de cette victoire à qui peut encore admirer son martial obélisque sous l’enchevêtrement de béton des voies de circulation surélevées.

 
N’importe quel quidam peut pourtant savoir, s’il s’intéresse un tant soit peu à l’honnête déroulement des faits, que la Thaïlande était l’agresseur et que, ce 17 janvier 1941, la France d’Indochine envoya l’escadre thaïe par le fond à Koh Chang, mettant ainsi fin aux velléités de son turbulent voisin et conséquemment aux hostilités.

 
Mais si, tout bien pesé, la Thaïlande avait quand même raison, si c’était elle, in fine, qui pouvait légitimement se prévaloir du titre de vainqueur ?

 
Une bataille oubliée en France, mais pas en Thaïlande

 
Parce qu’au juste il semble bien que seules les autorités thaïlandaises aient conservé la mémoire de cette guerre insolite. Et, assurément, elles méritent un satisfecit d’opiniâtreté à revendiquer – sans discontinuer depuis 1941 – la victoire de ce qui fut son évident point d’orgue, la bataille de Koh Chang.

 
En France, il faut avoir de bons yeux – et de la pugnacité ! – pour dénicher dans quelque recoin du territoire une plaque indiquant une venelle ou un square excentré qui veuille bien rappeler ce morceau de bravoure de notre histoire. Notons bien qu’au sein de la Marine nationale elle-même, aucun bâtiment ne porte son nom, encore moins celui de son artisan, le commandant Bérenger, et que sa relégation y est telle qu’un conférencier de son association des officiers de réserve (ACORAM) a pu rappeler récemment** que « cette victoire est très peu connue, même des marins et ne fait l’objet d’aucune célébration. »

 
Et pourtant des victoires navales, si on ne veut pas remonter à des temps immémoriaux, la France n’en compte pas pléthore !

 
À quoi donc alors attribuer alors cette curieuse amnésie du vainqueur ? Cette victoire qu’on nous cache si bien, jamais honorée et qu’aucun manuel scolaire ne rappelle souffrirait-elle d’une tare originelle ?

 
1941… Vichy, Pétain ? Mais oui, le voilà le motif de cette aphonie bien singulière !

 
En 1941, l’Indochine attaquée par la Thaïlande était sous le gouvernorat de l’amiral Decoux. Celui-là même qui eut le mauvais goût de ne reconnaître l’autorité de De Gaulle qu’après la libération de la métropole. Alors, que voulez-vous, la gloire d’une victoire – ainsi que l’honneur des marins et des officiers qui y ont contribué –, fut-elle exceptionnelle tant par son symbole que par sa rareté, ça ne vaut pas bien cher face à cette fatale erreur de protocole !

 
En ces temps d’inversion des valeurs où la « repentance » est reine, il apparaît plus aisé à un Président de la République française de se recueillir à Alger devant la plaque commémorative dédiée à un traître à sa patrie que de se souvenir de la vaillance de ces braves militaires qui, ne faisant que leur devoir et n’ayant pas choisi leur affectation, étaient pourtant en droit d’attendre, eux, la reconnaissance de la nation ! Mais ceux-là, peu avisés sans doute, ne pouvaient augurer que leur bravoure serait occultée au profit d’une Histoire officielle toujours revisitée dans un pays qui perdrait jusqu’à ses repères les plus essentiels.

 
Au contraire d’une Thaïlande dont la ferveur patriotique n’est plus à démontrer.

 
Alors, cette semaine, faisons la fête sans complexes, filons à Laem Ngop, dansons, graillons, dévorons les brochettes de cul de poulet jusqu’à plus mais, et trinquons avec nos amis thaïs à leur victoire bien méritée !

 
 

** Jean-Louis Renault, le 3 mai 2012, à Pornichet (www.defense.gouv.fr).