Les « affaires » qui émaillent régulièrement notre
vie politique nationale ne sont pas l’apanage de la mère patrie, loin s’en
faut. Mais celle dite « Cahuzac » s’élève à des sommets qu’aucun
alpiniste chevronné de la prévarication n’avait encore atteints. Le sentiment
de dégoût – ou de franche rigolade, selon l’humeur qui anime le spectateur
impuissant de cette triste pantalonnade – s’est répandu de par le monde et son
onde de choc n’a pas fini d’ébranler en retour les fondements d’une république
désormais plus bananière qu’irréprochable.
Ainsi, le ministre du Budget, chasseur impitoyable des
picaillons en fuite d’une classe moyenne écrasée sous le poids d’un impôt toujours
plus punitif, ce grand inquisiteur fiscal d’un gouvernement dont le chef
qualifiait il y a peu le comportement de quelque célébrité qui s’expatriait –
pourtant en règle au regard de la loi – de « minable », ce vertueux
personnage, donc, fraudait. Un peu comme si le préfet de police de Marseille
était poissé au coin d’une cité, la main dans le sac à shit.
Vue d’ici, il est peu probable que l’incongruité tragi-burlesque
de cette farce politicarde toute française intéressât beaucoup nos amis
thaïlandais. Reconnaissons d’ailleurs à nos hôtes l’élégance de l’indifférence polie
qu’ils accordent généralement à nos petites turpitudes.
Aussi, avec 5 % seulement de contribuables parmi leur
population active, ils sont sans doute peu concernés par la question. D’autant
que l’impôt thaï n’étant en rien spoliateur, ceux qui le paient, loin de
vouloir s’en affranchir, s’enorgueilliraient plutôt de cet indubitable signe
extérieur de richesse jeté ainsi à la face de tout contestataire d’un pouvoir
assumé. Privilège logique, somme toute, d’une société dont les valeurs n’ont
pas encore été inversées.
Sur la foi de récents sondages, quelques esprits chagrins
pourraient toutefois insinuer qu’avec 66 % des sujets du Royaume favorables à
la corruption si celle-ci leur bénéficie, et 87 % des habitants de la capitale
reconnaissant y avoir recours tout en l’approuvant, les Thaïlandais ne sont peut-être
pas non plus les mieux placés pour donner un avis pertinent en la matière.
Il n’en demeure pas moins que la situation en Thaïlande
n’est en rien comparable à la nôtre.
Car si la culture du passe-droit et du bifton facile est si
bien ancrée dans la population, c’est qu’elle est partagée. Les élites du pays
ne sont certes pas exemptes de critiques en ce domaine, mais elles ne s’en
arrogent pas le monopole. En tout cas pas comme dans notre république
schizophrène, malade de sa monarchie perdue, où quelque réminiscence d’un « fait
du prince » mal digéré semble offrir à ses classes dirigeantes une
absolution quasi divine de ses errements, sans qu’elles n’en aient par ailleurs
ni la légitimité ni les responsabilités. Pour le dire autrement, en France,
c’est faites ce que je dis mais pas ce
que je fais.
Il y a pourtant fort à parier que, à l’égal des Thaïlandais,
les Français seraient infiniment plus indulgents envers leurs politiciens si,
au détour par exemple de quelque insidieux radar planqué dans un buisson, ils
pouvaient s’acquitter auprès d’un souriant pandore d’une petite amende
courtoisement négociée. Ils seraient aussi très certainement soulagés à l’idée qu’un
gentil billet savamment glissé dans une main complaisante puisse enfin faire
bouger une administration aussi pléthorique et arrogante qu’inerte et
improductive. Ils seraient peut-être tout bonnement heureux, après avoir trimé
toute leur vie et payé, eux, leurs impôts, d’avoir un moyen approprié pour ne
pas toujours passer derrière tous les assistés de la terre dès qu’il s’agit
d’obtenir la moindre prestation.
Indubitablement, et nonobstant toutes les rodomontades d’une
France jamais en reste pour faire la leçon aux autres, la Thaïlande est
infiniment plus démocratique, à tout le moins dans sa pratique corruptive.
Cela dit, tout ce chahut autour du Cahu aura quand même eu du bon. Au moment où la ponction française
des avoirs de ceux qui travaillent est toujours plus forte et où
l’inviolabilité des dépôts bancaires n’est plus un tabou pour l’Europe, notre
impayable ministre des impôts, soustrayant grossièrement ses petites économies
à la voracité de ses propres agents pour les placer sous les cieux plus
cléments de Singapour, aura ainsi montré au quidam tout l’intérêt qu’il y avait
à sauvegarder son pactole hors de l’UE.
Pour nos compatriotes expatriés qui résident et possèdent
légalement un compte en Thaïlande, c’est déjà une consolation.