Billet publié dans le n° de septembre 2013 du magazine Gavroche
collégiens à déroger de la coupe
réglementaire – 5 centimètres maxi pour les garçons et au lobe de l’oreille
pour les filles. Si l’envie leur en prend, les chères têtes brunes pourront désormais
porter les cheveux plus longs.
En France, Libération
fut l’un des rares médias à relayer la dépêche AFP, saluant sans doute le « petit
souffle d’individualité dans des écoles où l’uniforme est lui toujours
obligatoire ».
Car pour ce quotidien toujours prompt à louanger les
expériences pédagogiques les plus baroques, le pas doit paraître bien modeste.
La jeunesse thaïlandaise devra encore patienter pour bénéficier du tutoiement de
profs hirsutes et crasseux ou avoir l’insigne privilège de s’ébrouer bruyamment
et en tout sens dans une classe d’où tout risque de trébucher inopinément sur
une estrade aura été éradiqué. Quant à l’uniforme, ce symbole militariste d’un
autre âge, de l’eau sera passée sous les ponts avant que ces jeunes gens biens
sous tous rapports puissent enfin afficher en toute quiétude les privilèges de
leur condition aux yeux des plus pauvres d’entre eux.
Mais même bien minime, cette libéralité ne semble pas faire
l’unanimité auprès des intéressés. Ainsi la directrice de l’école Makut Kasattriyaram de Bangkok déclare-t-elle tout de go avoir
décidé le maintien de l’ancienne coiffure dans son établissement : « Même
si la coiffure n’a rien à voir avec l’enseignement, nous la considérons comme
une partie intégrante de la discipline pour vivre ensemble dans notre société. Cela
montre aussi aux jeunes le respect. »
Et si l’on s’en tient à l’opinion des jeunes concernés, le
constat n’est guère plus brillant. Bien qu’arborant une queue de cheval
ci-devant transgressive, une adolescente assène impudemment : « Cela dépend de nous de nous intéresser aux études
ou à l’apparence. Mais moi, je préfère faire attention à mes études d’abord. »
La révolution capillaire
attendra.
Bon, accordons à Libé que cette coupe de cheveux
généreusement concédée, ce n’est effectivement pas mai 68. Natte attachée par
un nœud unique sur la nuque ou relevée en catogan pour les filles, coiffure
mi-longue pour les garçons, soigneusement peignée, il reste une trotte pour
rattraper les tignasses à poux et autres dreadlocks qui traînent la savate du
côté de Khao San Road.
Peut-être d’ailleurs que les routards
en question devraient prendre garde à ne pas faire les frais de la soudaine prodigalité
des autorités thaïlandaises envers leurs jeunes administrés. Connaissant le
goût pour l’uniforme qui confine ici à la passion de l’uniformité d’allure,
celles-ci pourraient bien prendre ombrage de cette criante différence de
traitement. Il n’est que de lire sur la toile la kyrielle de mésaventures
advenues à nombre d’étrangers victimes de pandores par trop jugulaire-jugulaire
pour s’en convaincre. Et ça ne concerne pas que les va-nu-pieds. Tel à Ekkamaï
sortait du bus le tif en râteau, en tongs et en tee-shirt pas franchement du
jour ; tel autre en accoutrement matinal, pas rasé et la mèche rebelle,
descendait Sukhumvit en quête d’un coiffeur. T’as le look, coco ! Pas
besoin dès lors de se composer ingénieusement la tronche de Bob Marley pour
être alpagué illico par une police pointilleuse, soucieuse du but de ces
déambulations pour elle si singulières.
Pour sûr, ces argousins thaïs, on devrait les envoyer en
stage auprès de nos CRS. Ils distingueraient peut-être sous les capuches le
genre qui sied dans nos cités.
Encore, nos compatriotes qui se laisseraient aller au pays du
sourire ont-ils de la chance. La Thaïlande n’impose plus le port du couvre-chef
comme dans les flamboyantes années du maréchal Luang Pibull Songgran. Qu’on en
juge avec cet extrait d’un communiqué de la Présidence du Conseil de
1941 :
« Le chapeau sert
à protéger la tête contre le soleil, la poussière, la pluie, et à éviter
d’avoir les cheveux en désordre. Il peut même, dans certains cas, empêcher de
devenir chauve… À présent, il aidera à rehausser l’honneur des Thaïlandais et
pourra constituer l’un des facteurs qui feront de la Thaïlande une grande
puissance. Aux yeux des étrangers, nous récolterons les éloges ; on dira
de nous que nous sommes la première nation du monde populaire pour le port
convenable des coiffures, et aucun autre pays ne pourra plus se mesurer avec
nous. »
En fait avec les Thaïlandais, la bienséance, c’est toujours
une affaire de coiffe.