lundi 19 août 2013

Le tourisme, oui, mais quel tourisme ?


Billet publié dans le n° d'août 2013 du magazine Gavroche

 
 


Alors que le libre-échange des biens et des personnes s’est imposé comme le catéchisme missionnaire de ce nouveau credo qu’est aujourd’hui l’universalisme marchand, il apparaît logique que le tourisme, dans sa perception purement comptable, en profite. Ainsi croît-il rapidement dans la plupart des pays rentrés dans la mondialisation.
 
Avec plus de 80 millions de visiteurs étrangers par an, la France s’enorgueillit d’une première place sur le podium. Mais avec 28 millions de touristes espérés pour cette année, la Thaïlande, toute proportion gardée, n’est pas en reste. Doit-on se réjouir pour autant de l’incontestable manne financière que cette transhumance sans frontières procure à nos deux contrées, d’origine et de cœur ?
 
 
Car, du moment que les devises rentrent, peu chaut à ses promoteurs que l’on visitât le Louvre en bermuda, le « coke » d’une main et le chiard hurlant de l’autre. Confondu dans la même déshérence culturelle qui frappe indistinctement nos palais comme nos cathédrales, le fruit du génie français se doit d’être arpenté par le plus grand nombre, dans un parcours fléché où « l’arrêt boutique » est aussi incontournable que la case « prison » du Monopoly. L’essentiel est de faire des entrées, et concomitamment du commerce, puisqu’il semble que la conservation de notre mémoire patrimoniale soit de nos jours à ce prix.
 
Et si l’on peut reconnaître à la Thaïlande un peu plus de tenue dans ses musées et pagodes où un code vestimentaire minimal est au moins exigé dès l’entrée, elle n’en est pas pour autant exempte de toute licence blâmable en matière de vénalité.
 
Quant aux parcs à thèmes français qui, entre Disney et la réserve d’Indiens de la Mer de sable, caracolent, paraît-il, en tête des destinations prisées de l’hexagone, ils ne devancent que de peu les excursions chez les minorités des confins birmans et laotiens, qui s’apparentent désormais davantage à l’entretien lucratif d’un folklore ethnique qu’à une véritable découverte de terres et de peuples autrefois préservés.
 
Nonobstant ce constat partagé des deux côtés du globe d’un tourisme contemporain massifié, dans sa grande majorité plus proche du vagabondage fiévreux de consommateurs inassouvis que de l’itinéraire soigneusement élaboré de voyageurs pénétrés d’un réel intérêt pour le pays visité, on pourra toujours noter la communauté de vue quant aux objectifs affichés : montée en gamme et écologie. Clientèle plus classieuse et ripolinage vert, ça ne mange pas de pain et ça enjolivera à peu de frais les affiches des offices du tourisme.
 
Mais pour la France, l’analogie avec la Thaïlande s’arrête là.
 
Car, au vu de l’insécurité grandissante qui y sévit, on peut s’attendre, côté tourisme, à quelques déconvenues.
 
Volés en plein Paris de leurs achats par des gangs de « mendiants-quêteurs », carottés de leur monnaie au Louvre, rackettés aux distributeurs de billets et brigandés dans le métro, quand ils ne sont pas tout bonnement molestés sur un boulevard pour un portable un peu trop voyant, les touristes en mal de romantisme tricolore, nos hôtes asiatiques en particulier, son servis.
 
Avec 29.000 plaintes recensées ces douze derniers mois pour agressions diverses, dont 20 % émanent de citoyens chinois, nos visiteurs ne sont pas à la fête.
 
Même le Comité Colbert, prestigieuse association des industries du luxe, s’est alarmé de la perte d’attractivité de notre beau pays pour les riches touristes venus d’Asie, réclamant vertement au préfet de police de bien vouloir s’occuper un peu de la sécurité dans la capitale.
 
Plus besoin en effet de se rendre à la Mer de sable pour se retrouver au Far West. Les joyeux feux de camp de nos cités commencent à roustir sérieusement les abords de la tour Eiffel. Et les signaux de fumée se voient jusque chez les gouvernements étrangers qui mettent dorénavant en garde leurs ressortissants.
 
Mais pas sûr que nos amis thaïlandais puissent goûter pleinement des charmes de nos séjours thématiques. Car à moins de montrer patte blanche en bonne monnaie sagement entassée dans de ventrus comptes bancaires, l’obtention du fameux visa Schengen relève du jeu de piste dans les dédales d’une administration consulaire particulièrement tatillonne.
 
C’est qu’il ne faudrait pas, ma bonne dame, qu’il prenne l’envie à ces Siamois de planter chez nous leurs pénates ! C’est vrai, des fois qu’ils s’y plaisent. Ils pourraient alors rejoindre les gros bataillons d’immigrants illégaux qui profitent en toute quiétude de nos avantages sociaux.
 
On a le tourisme qu’on peut.