Le 1er décembre dernier, se tenait au Collège de l’Assomption de Bangkok la 34e fête annuelle de l’ATPF – l’Association Thaïlandaise des Professeurs de Français.
Placée sous le haut patronage de
Son Altesse Royale la Princesse Maha Chakri Sirindhorn, qui vint remettre les
prix aux lauréats, cette journée intitulée « Le
français : un grand défi » vit s’affronter en joutes amicales les
élèves et les étudiants en français réunis autour de petits concours à thèmes.
Les jeunes impétrants eurent
ensuite à cœur de présenter leurs travaux respectifs à Son Altesse Royale la
Princesse Maha Chakri Sirindhorn, elle-même auteur dès huit ans d’un recueil de
poèmes en français, langue par ailleurs parlée couramment à la Cour.
Aux côtés des choristes du Lycée
Français International de Bangkok qui furent particulièrement appréciés, diverses
activités et expositions complétaient cette belle manifestation d’affection à notre
langue et à notre culture.
Dans ce cadre sympathique et
bienveillant, l’écrivain Jean Marcel s’est vu conférer l’insigne honneur
d’offrir à Son Altesse Royale la Princesse Maha Chakri Sirindhorn, sur le présentoir
traditionnel à cet effet, une édition de luxe de son dernier ouvrage, Histoires des pays d’or, paru récemment
aux éditions Soukha.
L’Association Thaïlandaise des Professeurs de Français fut fondée par
Son Altesse Royale la Princesse Galyani Vadhana Krom Luang Naradhiwas
Rajanagarindra.
ATPF
Programme d’activité 2013 :
Outre le rappel de l’organisation
de la journée du 1er décembre, on ne saurait trop parcourir les
quelques pages attenantes destinées aux élèves concourant.
« C’est la règle des règes, et générale loi des lois,
que chacun observe celles du lieu où il est. » Montaigne
Des « locutions ou proverbes » à « l’Homme en action », les bases d’une saine instruction
y sont dévoilées simplement et sans malice pour le plus grand bonheur de la
jeunesse thaïlandaise attachée à la France.
Peut-être devrait-on parfois
envoyer nos « pédagogistes »
faire un tour du côté de Bangkok.
L'auteur :
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Présentation de l’ouvrage par Éric Miné :
« Nous, enfants
de l’Occident monothéiste, parvenons avec peine à imaginer ce que les Orientaux
conçoivent sous le nom et le mot de "dieux".
« Ainsi croyons-nous
volontiers qu’ils se représentent ces êtres célestes comme tout-puissants, omniprésents
et éternels, pour tout dire à l’image du nôtre. Il n’en est rien. Ces créatures
conçues au plus près des origines de l’histoire humaine furent modelées sur
l’homme même. Ils naissent, aiment et meurent comme des hommes. Leur seul
privilège est de n’avoir pas à se nourrir, se vêtir ni à accumuler des
richesses – qui est un peu, avouons-le, le châtiment des hommes. Dieux et
déesses se meuvent dans une suave béatitude en leur palace sis au-dessus des
nuages, plus près des anges créés que du Dieu créateur. S’ils meurent, ils
peuvent revenir à la vie sous forme humaine ; de même que tout homme est
appelé un jour ou l’autre de l’éternité de l’univers, à se transformer en
divinité au gré de ses innombrables renaissances. Dans la souple logique
orientale, ces croyances ne sont nullement incompatibles avec la doctrine du
bouddhisme, qui ne reconnaît pas d’être suprême, parce que justement, ces dieux
ne sont jamais suprêmes. »
Pour ce connaisseur insigne des civilisations et des
religions qu’est Jean Marcel, panégyriste de l’héroïque mais vaine résistance
des dieux antiques au christianisme conquérant d’un Occident qui allait les
reléguer à quelques vestiges pour touristes en mal de vieilles pierres, on
comprend l’enthousiasme que ces Histoires
des pays d’or venues tout droit d’Extrême-Orient ont pu susciter, ainsi que
le bonheur qu’il éprouve à nous les révéler, comme quelque aimable secret que
l’amoureux enflammé ne saurait trop longtemps garder pour sa trop exclusive
jouissance.
Car, ne nous y trompons pas, l’auteur d’Hypatie ou la fin des dieux est aussi un indéfectible passionné de
cette Thaïlande où il a élu domicile. Et, sous sa plume précise et espiègle,
c’est la pérennité dans cette région du monde d’une féerie instinctive et
magique qu’il nous dévoile. De cette mémoire commune profondément ancrée dans
la Nature et si singulière pour les « enfants de l’Occident », c’est la
beauté intime de l’imagination qu’il se propose ici de nous faire partager,
transmise intuitivement au fil des générations à tous ces autres enfants, de
Siam et des confins alentour.
Dans le froid univers que nous nous sommes bâti à force de
rationalisme cartésien, c’est ainsi cette subtile séduction qui nous fait si
cruellement défaut de nos jours qu’il nous invite à retrouver dans cette sélection
de récits. Histoires simples et merveilleuses, si heureusement exhaussées des
brumes hallucinantes de ces pays d’or pour nous si mystérieux, et toutes
empreintes encore de leur touffeur originelle.
Et si l’auteur se défend d’avoir retranscris quelques
« contes et nouvelles » au profit d’ « histoires » qu’il
juge d’un genre littéraire plus exact, c’est bien un monde de légendes dans
lequel il nous entraîne joyeusement et pour notre plus grand bonheur.
Car ces goules, qui, tels les loups-garous se muent dans la
nuit en inquiétantes créatures, ces nagas – les grands serpents d’eau, si
présents par ailleurs dans les délicats ornements des pagodes –, que l’on
chevauche comme les dragons des épopées médiévales, ne nous renvoient-ils pas à
une mystique bien vivante, perdue dans quelque tréfonds romanesque d’une âme
enfantine encore prompte à nous faire vibrer ?
N’associe-t-on pas confusément ces émanations fantasmées de
nos racines européennes aux candides images allégoriques ou aux prix
d’excellence sur tranches dorées exaltant des aventures bien souvent
extraordinaires qui, jadis, gratifiaient les élèves méritants de nos belles
provinces ?
Oui, nous sommes là en terrain connu. Et pour ceux d’entre
nous qui se souviennent des années 80 avec la nostalgie des libres songeries propres
à la jeunesse, il n’est que de lire La
kinnari pour se voir affronter derechef les savantes énigmes et les mille
dangers qui mènent le jeune héros de l’Histoire
sans fin au fabuleux pays de Fantasia. Ne s’est-on alors rêvé dans la salle
obscure, galopant sur le blanc destrier au rythme enlevé de l’entraînant accompagnement
sonore du film ? Musique opportunément interprétée par Limahl, chanteur au
style délicieusement androgyne de ces temps révolus, si évocateur en cela de
l’ambiguïté éthérée des silhouettes croisées depuis l’origine des continents en
ces lointaines contrées des pays d’or.
Mais l’analogie, toutefois, s’arrête là, car il faudra sept
ans et demi à notre héros siamois de La
kinnari pour parvenir aux portes du royaume de sa belle. Éloge de la
lenteur, nous sommes déjà dans un autre monde.
Et n’allez pas vous croire pour autant triomphant sous la
carapace de la tortue de la course contre le lièvre. Nous arpentons là des
territoires bien éloignés de ceux de monsieur de La Fontaine. Et il vous faudra
pour apprécier ces Histoires des pays
d’or, cher lecteur pétri de l’ancestrale chrétienté inhérente à l’identité
européenne, vous départir de quelques préjugés.
Peu chaut en effet à ces conteurs exotiques de nous faire la
leçon. La morale – au sens où nous l’entendons – est ici bien peu présente.
La ruse l’emporte sur la probité. La simonie des moines, la
débauche de quelques fieffés bougres ou les manigances de vieillards en quête
de fraîche compagnie sont bien souvent récompensées. Comme l’inverse peut être
vrai aussi, vertu inattendue cachée au détour de quelque espièglerie. La
frontière entre le bien et le mal est bien ténue dans ces pays d’or.
Et voilà bien là l’illustration de la singularité de ces
peuples qui, sous l’apparent propos anodin de Jean Marcel, fuse impudemment à
rebours de notre entendement.
De quel bois sont-ils donc faits, ces hommes des pays
d’or ? Ces Thaïs qui hissent aujourd’hui encore au faîte de leurs
lampadaires des kinnaris que nous nommons chimères et qui s’égrènent en
alternance des portraits en majesté de leurs Roi et Reine sur les flancs des
autoroutes flambant neuves menant à leur prestigieux aéroport de Suvarnaphumi. Ne sont-ils donc pas tous sujets
à une illusion collective ?
Auteur lui aussi résidant en Thaïlande, mais romancier australien
et fin observateur des mœurs locales, John Burdett nous interpelle : « L’’Occidental fait généralement
observer que le Thaï vit dans un paradis de dupes. Peut-être, mais le Thaï
n’est-il pas fondé à rétorquer que l’Occidental s’est construit un enfer de
dupes ? »*
De concert avec Burdett, faisons nôtre, alors, cette
interrogation, et soyons dupes de bon cœur.
Mais, avec Jean Marcel, choisissons le paradis.
Éric Miné :
* Bangkok 8,
traduction française Thierry Piélat, 10-18, 2005.