Noël et le Jour de l’An approchent à grands pas et les
traditions festives de ce mois de décembre porteront nombre d’entre nous à
rejoindre le sol natal pour des retrouvailles familiales attendues. Mais pour ceux qui n’y ont plus vraiment d’attaches, ou qui n’éprouveraient
pas une irrépressible envie de partager un morceau de bûche avec la belle-mère,
la question se pose de savoir s’il faut parcourir ou non les 10.000 et quelques
kilomètres qui nous séparent de notre belle France.
Car, pour les lampions et autres cotillons, on aura le choix,
la péninsule asiatique n’étant jamais avare de réjouissances quand l’occasion
s’en présente. Et le rouge du Père Noël semblant être à l’honneur des deux
côtés de l’hémisphère, des chemises des infatigables partisans de Thaksin aux
bonnets insurrectionnels de nos intrépides Bretons, la hotte du valeureux
vieillard pourrait bien nous apporter dans les deux cas quelques pétarades. Pas
la peine, donc, d’affronter la froidure de notre vieux continent pour se la
jouer ribouldingue sur feux d’artifice.
Et puis celle que l’on persiste à appeler la « ville-lumière »
mérite-t-elle toujours une dénomination qui semblerait ainsi la prédestiner aux
fastes d’interminables nuits d’ivresse ? Dorénavant, Paris dégagerait
plutôt une impression curieuse, surtout le soir. Dès neuf heures, on se trouve
souvent seul à arpenter un couloir de métro ; les rames y sont clairsemées
ou occupées de silhouettes peu avenantes. La sortie en famille au cinéma, qui
mettait de l’animation jusqu’à minuit, semble appartenir au passé ;
désertées par les couples, les rues s’emplissent désormais d'hommes esseulés ou
qui, par petits groupes, s’ennuient et traînent. La vie même s’y est étiolée,
évidée ; de plus en plus de cafés baissent définitivement leur rideau, les
kiosques à journaux disparaissent peu à peu et les artisans qui faisaient le
charme des quartiers populaires ont depuis longtemps cédé la place aux habitations
cadenassées des bobos. Finis les marchands de couleurs ! Dans notre
capitale historique, indifférente aux saisons la froideur des regards le
dispute maintenant à la froidure hivernale.
De cette sombre glaciation qui, des venelles aux grands boulevards,
semble avoir frappé de déréliction une métropole considérée autrefois de par le
monde comme le symbole de l’art de vivre, des pics de chaleur toutefois se
distinguent. Les fêtes de fin d’année notamment y procèdent de cette
singularité des temps nouveaux. Célébrées comme des manifestations de liesse
par nos arbitres des élégances politico-médiatiques qui, prudents, se gardent
bien par ailleurs de s’y rendre, elles sont à l’image de ces footeuses fins de
matches où la civilisation s’engloutit dans ce trou noir qu’est devenue la
ci-devant « plus belle avenue du monde ». Mais, on l’aura compris,
ces fêtes-là ne sont plus celles du peuple de Paris.
À rebours de cette menaçante apathie, l’Asie du Sud-Est nous
offre des perspectives nettement plus engageantes. La vie y bouillonne la
nuit ; des quais du Mékong de Phnom Penh où l’on loue des jonques pour y
danser, des berges des arroyos où les moindres bourgs laotiens ou thaïlandais
essaiment buvettes, soupes chinoises et autres rôtisseries, l’insouciance et la
joie de vivre partout se déploient. Les visages, le soir, y sont rieurs et sans
crainte, la jeunesse s’y retrouve avec elle-même dans des pays qui lui
appartiennent pleinement.
Confiantes dans leur culture bouddhiste, ces populations
toutes générations confondues n’en festoieront pas moins avec des étrangers dès
lors bienvenus. De Pattaya à Phuket, de Bangkok à Siem Réap, les bonnets rouges
y fleuriront bientôt – ceux à gentils pompons, pas les autres – et les sapins y
resplendiront davantage de leurs boules multicolores que sur nos marchés de
Noël provinciaux relégués sous la pression d’une laïcité mal digérée en
insignifiants « marchés d’hiver ». La Saint-Sylvestre y sera elle
prétexte à force illuminations, peu importe que la nouvelle année ne débute ici
que trois mois plus tard.
À tout prendre, épargnons-nous donc un billet d’avion et avec
« Tonkin », joué magistralement par Robert Le Vigan dans le film de
1943 de Jacques Becker, Goupi mains rouges,
retrouvons les couleurs de la fête : « Mais
qu’est-ce que c’est que Paris, monsieur, la France, l’Europe ? Ce sont des
gens tristes sous un ciel gris. Là-bas il y a le soleil, la lumière monsieur,
la couleur, toutes les couleurs, l’orange, le rouge, le vert, le jaune, le bleu
pâle, l’outremer… là-bas, ah l’outremer ! »