Publié le 3 décembre 2013 sur le site Breizh-info
La Thaïlande tournera-t-elle la page de la démocratie « à
l’occidentale » ? C’est la question qui se pose au regard des récents
développements de l’épreuve de force engagée depuis plusieurs semaines déjà dans
le royaume par l’ancien vice-premier ministre Suthep Thaugsuban et ses alliés –
les « jaunes » – contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra, sœur du
milliardaire en exil Thaksin, déposé lui-même par un coup d’État militaire en
2006. La radicalisation des dernières heures, qui ont vu les opposants prendre
le contrôle à Bangkok de plusieurs ministères et de la télévision publique,
ainsi que les premiers morts et les heurts violents qui ont eu lieu entre les affidés
de la famille Shinawatra – les « rouges » – et les étudiants de
l’université Ramkhamhaeng qui n’ont dû leur salut qu’à l’intervention de
l’armée, pourraient bien faire basculer celle-ci en faveur d’un mouvement qui
tourne à l’insurrection générale. La porte serait dès lors ouverte à une modification
substantielle du régime. Là est le véritable enjeu.
Du complexe gouvernemental de Changwathana qu’occupent les
chefs de la rébellion réunis sous la bannière du « Comité du Peuple pour la démocratie absolue thaïlandaise sous la
monarchie constitutionnelle », Suthep Thaugsuban, avec le soutien du
principal parti d’opposition parlementaire, a en effet clairement indiqué son
objectif. Constatant que les élections étaient de plus en plus biaisées par les
pratiques corruptives d’un capitalisme international sans scrupules abusant de
populations naïves – les Shinawatra en étant l’avatar local –, il entend
suspendre la démocratie électorale au profit d’institutions plus
représentatives de la nation, reprenant en cela pour partie les revendications
insatisfaites des ultra-royalistes du Pad qui avaient bloqué en 2010 les
aéroports de la capitale et provoqué la chute d’un précédent gouvernement
pro-Thaksin. Si ceux-ci voulaient alors tempérer le pouvoir des députés issus
du vote par l’instauration à la chambre de corps désignés pérennes –
aristocratique, militaire et religieux –, il semble que Suthep inclinerait
davantage vers une expression plus corporatiste des volontés du peuple, mais
dégagée tout autant d’une contrainte des urnes jugée aujourd’hui sous ces cieux
fauteuse de troubles.
Si l’on en juge par l’élan général et l’enthousiasme
suscité, nonobstant les médias occidentaux qui ne voudraient voir dans ces
événements que la répétition d’une crise sociale récurrente qui verrait
s’opposer des « élites citadines gravitant autour du palais » à des
« masses rurales défavorisées du nord-est », il s’agit bien là d’une
révolte populaire visant à sauver les intérêts vitaux et les valeurs
fondatrices d’un pays qui a su jusque là s’accommoder de la mondialisation tout
en préservant ses traditions et ses règles. Ce qui est condamné là-bas, c’est
précisément notre modèle démocratique prétendument universel, mais de fait
idéologique, daté et occidental.
Si l’entreprise de Suthep Thaugsuban devait être couronnée
de succès, elle pourrait ainsi donner des idées à d’autres qui souffrent tout
autant ailleurs d’un système n’engendrant plus qu’une représentation collective
erronée des peuples pour mieux les soumettre à ses dérives financières,
consuméristes et totalitaires.
La portée de ce qui se joue aujourd’hui à Bangkok va donc
bien au-delà des frontières d’un royaume tropical prisé des touristes pour ses
cocotiers et son sourire.